Lettre pour J.
Cher J.,
Ce matin, B. m’a transféré le courriel que tu as envoyé à tes ami.es. J’espère que tu ne lui en voudras pas trop. D’abord, je suis heureuse de te savoir si bien entouré, c’est un cadeau précieux que tu t’es fait. Mais, surtout, je suis vraiment touchée par tes réflexions et ta plume.
Tu m’avais glissé un mot sur tes cousins, mais je ne savais pas que d’autres de tes amis s’étaient également éteints très dernièrement. Devoir traverser tous ces deuils à la fois doit être une épreuve terrible. J’en suis vraiment désolée.
Mais oui, à travers les moments de larmes, allégeons. Vivons.
Lorsque les cérémonies se terminent, nous avons parfois l’impression que le deuil devrait être derrière nous, que nous devrions revenir à notre état normal. Mais vivre avec ces absences sera notre nouvelle normalité. Pas de retour à un état précédant. J’aime beaucoup tes pistes pour penser et pour vivre avec la mort, en voici d’autres :
Dans La guerre des fleurs, de Domingo Cisneros, l’auteur propose une sorte de manuel d’enseignement pratique et spirituel pour vivre en forêt. Je lisais ces pages en prenant quelques notes, j’avais hâte d’aller récolter des plantes et des os dans la forêt. Puis, comme si c’était une pratique comme toutes les autres, je tombe sur la procédure pour réaliser une tête réduite (ou tsantzas), un rituel de Jivaros utilisant des têtes humaines. Le fait que l’auteur ne change pas de ton, qu’il parle de restes humains comme de restes animaux ou de plantes a eu un fort impact sur moi. J’y pense souvent. Et si c’était une pratique comme une autre? Qu’est-ce que cela voudrait dire pour ma relation à la mort humaine? Qu’est-ce que ça voudrait dire sur ma relation aux morts animales et végétales?
Une autre lecture m’avait fortement marquée, cette fois à l’adolescence. Je découvrais le Bouddhisme avec Éveillez le Bouddha qui est en vous, du Lama Surya Das. Je n’étais pas encore obsédée par Le livre des morts tibétain, ça viendrait plus tard. Mais c’était la première fois qu’on me présentait la mort comme une occasion de pratiquer la vigilance. Penser à la mort ne serait pas tabou, mais plutôt une manière de se libérer. Assumer l’incontournable réalité de l’impermanence nous donnerait du recul, nous permettrait de revenir à l’essentiel.
Voici quand même un passage du Livre des mors tibétain :
À présent que le bardo de la mort point à mon horizon,
Je vais me défaire du désir, de l’envie lancinante et de l’attachement,
Je vais entrer sans distraction dans la claire connaissance de l’enseignement
Et éjecter ma conscience dans l’espace de la conscience jamais née.
En quittant ce corps composé, faire de chair et de sang,
Je saurai qu’il n’est qu’illusion transitoire.
- Padma Sambhva
Comment traite-t-on la mort, traditionnellement, sur le territoire que nous occupons? Blair Stonechild, qui est Cri-Saulteaux de la Première Nation de Muscowpetung raconte dans Celui qui cherche à savoir qu’à la fin de la vie, « ceux qui vivent en entretenant des relations appropriées avec les autres ont hâte de rejoindre leurs ancêtres dans le domaine des âmes. Il est absurde pour quiconque de craindre la mort parce que nous allons tous mourir et ce n’est que la fin d’un cycle ». La mort serait aussi perçue comme une enseignante qui engendre des réflexions profondes. « Il est déconseillé de prolonger le deuil, car cela peut empêcher Ahcahk (l’âme) de partir. » « Parce que la conscience des ancêtres se poursuit dans le monde des âmes, beaucoup d’efforts sont investis pour maintenir le contact eux. Des fêtes et des cérémonies ont lieu chaque année pour honorer les âmes des ancêtres. »
D’ailleurs, en tant que sorcière, chaque année, je célèbre Samhain la nuit du 31 octobre. Il semblerait que le voile entre les morts et les vivants serait à son plus mince. J’en profite pour offrir du chocolat à ma grand-mère (qui en raffolait) et pour rappeler à mon ami Victor à quel point je suis fière de ce qu’il a accompli de son vivant. Si tu veux, on se fera un petit rituel « en famille ».
Amitié,
Zéa